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Yakovlev Yak-140

Le prototype du Yak-140 au centre d'essais de Joukovski début 1955.

Le développement de ce chasseur des années 1950 est longtemps demeuré un mystère pour les spécialistes occidentaux, et pour les Russes eux-mêmes. Et pour cause : cet avion a pris l'air une seule fois ! Ce chasseur léger, de première ligne, fut, en effet, l'adversaire infortuné du MiG-21 d'A. I. Mikoyan et M. I. Gourevitch dans la compétition visant à rééquiper l'aviation de chasse soviétique. Les deux avions furent conçus parallèlement, et équipés du même moteur.

Le dossier du projet, remis aux autorités gouvernementales au mois de juillet 1953, mentionnait les points suivants : "La conception du présent chasseur équipé du moteur AM-11 est l'aboutissement de plusieurs années de réflexions visant à obtenir un chasseur léger aux performances optimisées. Celui-ci combine les avantages d'un avion léger de petit gabarit et de très hautes capacités en combat, que lui confère un rapport poids/puissance sans précédent. Ainsi, sa vitesse ascensionnelle au niveau de la mer et à 15 000 m atteint respectivement 200 m/s et 30 m/s. Son plafond pratique s'établit à plus de 18 000 m et sa vitesse maximale peut monter jusqu'à 1700 km/h (Mach 1,4) entre 10 000 et 15 000 m. Sa faible charge alaire le dote d'une excellente manoeuvrabilité dans les plans vertical et horizontal".

Ce dernier paramètre bénéficia directement des enseignements tirés du Yak-3 développé en 1943. Ce chasseur, presque mythique, était doué d'une agilité et d'un rapport masse/puissance hors du commun. Depuis, le bureau d'études Yakovlev a tenté, à maintes reprises, de créer un chasseur à réaction affichant les mêmes caractéristiques. Cependant, pour diverses raisons, la réussite technique qu'avait été le Yak-3 ne fut jamais égalée. L'utilisation du Yak-23, développé en 1947, resta extrêmement limitée. De même, les chasseurs Yak-30 (1948) et Yak-50 (1949) à ailes en flèches, restèrent à l'état de prototypes.

Vint ensuite le Yak-140. Ses caractéristiques générales avaient cela d'original qu'elles semblaient préfigurer les chasseurs contemporains. Les ingénieurs étudièrent plusieurs versions d'avant-projet à moteurs VK-3, TRD-1 et AM-11, ce dernier ayant laissé entrevoir d'intéressantes perspectives. Il était très léger, et son excellent rendement permettait de diminuer la consommation en carburant d'environ 2,5 fois. Plus tard, il fut d'ailleurs considéré comme l'un des meilleurs moteurss soviétiques, et connut de nombreuses applications. Ainsi motorisé, le Yak-140 aurait été allégé en conservant d'excellentes performances malgré son armement, très lourd, de 3 canons de 30 mm, et 16 roquettes non guidées de 57 mm. De surcroît, son coût de production et d'exploitation aurait été particulièrement avantageux grâce à l'emploi de métaux non-ferreux, à un cycle de production sensiblement raccourci, à une faible consommation en carburant, et à une maintenance facile. Toutefois, ceci n'était qu'une hypothèse séduisante, car le Yak-140 n'existait encore que sur les planches à dessin.

Ces paramètres, au demeurant optimistes, attestaient un niveau technologique très avancé pour l'époque. Il faut dire que la guerre froide battait son plein, et que la course aux armements accélérait la recherche aéronautique, en particulier dans le domaine des avions de combat.

L'accent était mis alors sur la vitesse. Des plages de vitesses qui, impensables quelques années plus tôt, étaient envisageable, grâce aux progrès rapides de l'aérodynamique et des moteurs. En 5 ou 6 ans, la vitesse des avions doubla. Au début des années 1950, si les meilleurs représentants de cette catégorie d'avions, tels que le MiG-17, le F-86 Sabre, le F-84F Thunderstreak, le Mystère et le Hunter frôlaient le mur du son, les chasseurs de la génération des années 1955 à 1957 franchirent Mach 2. Mais cette course de vitesse se fit au détriment d'autres paramètres, considérés comme secondaires, tels que, par exemple, la manoeuvrabilité. Le Lockheed F-104 reste un exemple type; il était peut-être le plus rapide de son temps, mais sa manoeuvrabilité était médiocre. Parallèlement, les tactiques de combat avaient évolué très vite, avec l'apparition de missiles air-air qui remettaient en question bon nombre de concepts.

À contre-courant de cette tendance, les concepteurs du Yak-140 préférèrent sacrifier la vitesse au profit de la manoeuvrabilité. Ainsi, la voilure fut légèrement plus grande que celle des autres chasseurs de même catégorie de masse. Il en résultait une perte de vitesse d'environ 150 à 200 km/h, mais, en contrepartie, une manoeuvrabilité et une qualité de vol sensiblement meilleures, ainsi qu'une certaine capacité de planement, augmentant le survivabilité en cas de panne de moteur. La basse pression des pneus (6,0 kg/cm²) et sa faible charge alaire (250 kg/m² au décollage et 180 kg/m² à l'atterrissage) lui permettraient d'opérer à partir de terrains sommairement aménagés.

Le Yak-140 possédait, par ailleurs, un rapport puissance/masse estimé à un peu plus de 1, équivalent à celui des chasseurs actuels, tels que le F-15, F-16, MiG-29, Su-27 ou Rafale. Celui du MiG-21F (première version de série de 1958) et du F-104 était respectivement de 0,84 et 0,83. Ce facteur, associé à la faible charge alaire, rendrait le Yak-140 incontestablement supérieur dans les combats où les qualités manoeuvrières étaient primordiales.

Les ingénieurs s'appliquèrent tout autant à optimiser les équipements, ainsi que la simplicité de mise en oeuvre. Les logements des principaux équipements furent conçus de façon à faciliter la construction et la maintenance. Les câbles des gouvernes de profondeur et de direction, de commande de moteurs et du circuit électrique, passaient tous dans un carénage au-dessus du fuselage. Pour dégrouper le moteur, la partie arrière du fuselage était détachable. De même, l'accès aux organes vitaux étaient simplifié par des trappes de visite. L'expérience acquise lors du développement du Yak-50 avait été fructueuse.

À l'été 1953, le Conseil des Ministres de l'URSS vota une loi de programmation d'avions supersoniques de nouvelle génération. À cette époque, les recherches étaient déjà bien avancée au sein des bureaux d'études Yakovlev et Mikoyan et, depuis 1953, l'établissement créé récemment par O. O. Soukhoï était venu durcir la compétition.

Yakovlev et Mikoyan misaient tous deux sur le moteur AM-11 d'A. O. Mikouline, alors que Soukhoï optait pour l'AL-7 d'A. M. Lioulka. L'AL-7 étant plus puissant et plus lourd que les autres, les futurs Su-7 et Su-9 allaient nécessairement être plus gros et plus lourds que leurs concurrents. En réalité, les constructeurs anticipaient, car aucun de ces moteurs, développés en parallèle, n'étaient encore disponible en 1954. Yakovlev et Mikoyan décidèrent, par conséquent, de construire des démonstrateurs de leur futur chasseur, avec le moteur AM-9B moins puissant, et sa variante AM-9D. Entre-temps, les moteurs de la famille AM-9 équipèrent le MiG-19, premier avion supersonique. Les prototypes Yak-140 et Mikoyan E-2 et E-4 furent, quant à eux, équipés respectivement de l'AM-9D et de l'AM-9B.

Le Yak-140, ainsi motorisé, ressemblait beaucoup à l'avant-projet à moteur AM-11, et ne s'en distinguait que par quelques éléments relatifs au moteur et à l'armement (2 canons NR-23 de 23 mm), et par l'absence de radiotélémètre. De toute évidence, les performances revendiquées dans le mémorandum remis aux autorités en juillet 1953 ne pouvaient plus être respectées.

Trois autres photos du prototype à Joukovski.
(crédits photos : OKB Yakovlev)

En janvier 1955, le Yak-140, équipé de l'AM-9D, entama ses essais au sol au polygone du LII à Joukovski près de Moscou : manoeuvres sur piste, simulations de décollage, essais de freinage... Parallèlement, des essais statiques, menés au TsAGI, révélèrent que la voilure devait impérativement être renforcée.

En février 1955, la phase d'essais du prototype du Yak-140 fut brusquement interrompue à la veille du premier vol, et ne fut jamais relancée. Aujourd'hui encore, rien ne nous permet d'expliquer officiellement une telle décision, car aucun document du ministère de l'Industrie Aéronautique ne fait état du sort de l'avion. L'insuffisante robustesse de la voilure ne peut constituer, en soi, un argument valable, d'autant que ce problème, mineur, fut très efficacement résolu peu de temps après.

Yakovlev prétendait que P. V. Demendiev, ministre de l'Industrie Aéronautique de l'époque, lui aurait confié, sans donner de détail, que le développement du Yak-140 n'aurait aucun avenir, car les autorités avaient pris leur décision depuis longtemps, et que leur choix s'était porté sur le MiG-21. Cette affaire permit néanmoins à A. S. Yakovlev de prendre conscience qu'il fallait désormais obtenir obligatoirement l'appui du Ministère avant d'entamer tout projet.

En février 1955, il interrompit le développement du Yak-140, pour se consacrer pleinement à l'intercepteur biréacteur Yak-25 et au bombardier Yak-28...

Le chasseur léger Yak-140 avait une aile médiane et un empennage horizontal en flèche de 55°30'. La voilure était composée de deux ailes droites, reposant sur une poutre transversale. Leur structure comprenait deux longerons et des nervures perpendiculaires.

L'épaisseur relative du profil était de 6,3 % à l'emplanture et de 8 % aux saumons, le dièdre latéral négatif de 4 %. Elles étaient munies chacune de deux cloisons sur les extrados (pour retarder l'apparition de turbulences, responsable de traînée), de volet de courbure à recul (genre Fowler) et d'ailerons dotés de masselottes d'équilibrage.

Le fuselage cylindrique était semi-monocoque, avec des cadres et des lisses, un revêtement travaillant. Le cône d'entrée d'air du réacteur contenait le radiotélémètre (radar de tir). Les réservoirs étaient situés dans la partie arrière du fuselage, immédiatement derrière le poste de pilotage. Ce dernier était pressurisé et équipé d'un siège éjectable. Lors du largage de la verrière, les aérofreins du fuselage étaient déployés automatiquement afin d'optimiser la sécurité de l'éjection. Les commandes de profondeur et de gauchissement étaient irréversibles; celles du gouvernail rigides.

Le train d'atterrissage monotrace oléopneumatique comprenait une jambe principale, une jambe avant et des balancines à l'extrémités des ailes. Toutes les roues avaient une suspension à levier. L'atterrisseur principal était composé de 2 roues en diabolo (600 x 200 mm) équipées d'un système de freinage antidérapant (actuel ABS) et de pneus haute pression. La train avant (480 x 200 mm) était orientable grâce à un système hydraulique. Les balancines (250 x 110 mm) étaient escamotables dans les saumons. Les prises statiques étaient également placées dans le carénage des saumons. L'escamotage et la sortie du train était hydraulique. La sortie de secours hydropneumatique était effectuée dans le sens de l'écoulement d'air, ce qui la facilitait même en cas de chute de pression.

Le turboréacteur AM-11 était doté d'un compresseur axial double corps et d'une réchauffe. Sa puissance, au niveau de la mer, était estimée à 4 000 kgp (39 kN) et son régime maximal avec réchauffe s'élevait à 5000 kgp (49 kN). Ces chiffres n'étaient cependant que des estimations, car, lors de sa mise en service, sa poussée atteignit en réalité 3800 kgp (37 kN) au niveau de la mer et 5100 kgp (50 kN) avec réchauffe. L'AM-9 développait une poussée maximale avec réchauffe de 3250 kgp (32,3 kN).

Le chasseur devait être armé de 3 canons NR-30 de 30 mm, dotés chacun de 50 obus (le prototype du Yak-140 motorisé par l'AM-9D était armé de 2 canons NR-23 de 23 mm). Dans une version expérimentale surchargée, l'avion pouvait emporter 16 roquettes non guidées ARS-57 de 57 mm. Le collimateur était optique.

Fiche technique (prototype)
Longueur 13,34 m
Envergure 7,395 m
Hauteur au sol -
Surface alaire 19,4 m2
Masse à vide 3315 kg
Masse maximale au décollage 4850 kg
Équipage 1
Motorisation 1 turboréacteur Mikouline AM-9D de 3250 kgp
Plafond opérationnel 18 000 m (estimation)
Vitesse maximale 1275 km/h (estimation)
Distance franchissable 1900 km (estimation)
Course au décollage 400 m (estimation)
Course à l'atterrissage 600 m (estimation)
Armement 2 canons NR-23 de 23 mm
Plan 3 vue du Yak-140. Vue en coupe du Yak-140.
Sources :
  • OKB Yakovlev, A history of the design bureau and its aircraft, Yefim Gordon, Dmitriy Komissarov & Sergey Komissarov, Midland Publishing, 2005
Page mise à jour le 21/04/2012