Dernières nouveautées

Dernières mises à jour

Soukhoï T-4

Le prototype "101" conservé au musée de Monino.

Développement de l'Izdeliye 100

Le Soukhoï T-4 constitue la réponse soviétique au bombardier trisonique américain North American XB-70 Valkyrie, né à la fin des années 1950. Le rôle principal de l'appareil devait être la destruction des porte-avions et autre unités majeures de l'US Navy ainsi que des silos à missiles stratégiques basés à terre. Il devait également être adapté aux missions de reconnaisance.

Les spécifications furent apportées par le GosNIIAS. Le bombardier devait pouvoir emporté deux missiles air-sol d'une portée de 500 km. Sa vitesse maximale devait atteindre Mach 3.0, sa vitesse de croisière Mach 2.8, et il devait être capable de parcourir 6000 km sans ravitaillement.

Trois constructeurs répondirent à l'appel d'offre lancé au printemps 1962 : Tupolev avec le Tu-135, Yakovlev avec le Yak-33 et Soukhoï avec le T-4. Le Yak-33, trop petit et ne répondant pas aux spécifications, fut rapidement écarté. Le Tu-135, construit en aluminium, était conçu pour une vitesse maximale de Mach 2.35. Ne restait donc que le T-4 qui, avec sa structure en acier et alliage de titane, était taillé pour les vitesses trisoniques.

Modèle réduit du Tupolev Tu-135. Plan 3 vues du Yakovlev Yak-33 (1962). Vue d'artitste du Soukhoï I-2, précurseur du T-4.
(crédits : Keith Woodcock)

Le travail sur le T-4, connu chez Soukhoï sous le nom d'Izdeliye 100, commença dès septembre 1961, avant même l'appel d'offres. Pour la petite histoire, le chiffre 100 vient du poids de l'appareil, et est à l'origine de son surnom de Sotka. Le Soukhoï I-2, dessiné par Oleg Samoïlovitch, servit de point de départ au développement du T-4.

Lorsque le T-4 fut retenu en avril 1963, Tupolev était furieux de se voir écarté du projet, son OKB faisant autorité dans le domaine des bombardiers. Mais, plus curieusement, de fortes tensions apparurent au sein même de l'OKB Soukhoï, plusieurs chefs de services craignant que le développement du bombardier ne remette en question d'autres programmes. Leur opposition fit échouer un plan visant à récupérer l'OKB Lavotchkine pour soutenir le développement du T-4. Finalement, le KB-82 Bourevestnik et l'usine TMZ de Touchino devinrent succursales de Soukhoï et participèrent au développement du T-4.

Le projet préliminaire du T-4 fut étudié par une commission spéciale regroupant des membres des VVS et du GKAT entre le 21 mai et le 3 juin 1963. À l'issue, Soukhoï fut autorisé à construire un modèle en bois à l'échelle 1 du T-4, qui fut réalisé par l'usine "Koulon". Fin 1963, un décret du Comité Central du PCUS et du Conseil des Ministres de l'URSS autorisa le développement à grande échelle du T-4, prévoyant un hypothétique premier vol pour 1968.

Maquette grandeur nature du T-4 à usine "Koulon" en 1967.

Entre 1963 et 1965, le TsAGI étudia de nombreuses configurations pour le T-4, en faisant notamment varier la flèche de l'aile et la position des plans canard. À l'origine, deux turboréacteurs furent envisagés pour propulser le T-4 : le Toumanskiy R15BF-300 et le Zoubets RD17-15. Mais l'appareil était devenu trop grand pour ces propulseurs, si bien que les ingénieurs décidèret de motoriser le T-4 avec quatre turboréacteurs Kolesov RD-36-41 développant 16 000 kgp chacun. Le modèle à l'échelle 1 du T-4 dévoilé en décembre 1966 aux autorités présentait une nacelle unique regroupant les quatres moteurs.

Tronçon de fuselage du prototype "101" en cours de montage. Prototypes "101" et "102" en construction à l'usine TMZ. Construction du prototype "101" à l'usine TMZ.

En décembre 1965, un nouveau décret du Conseil des Ministres de l'URSS donna le feu vert à la construction des prototypes à l'usine TMZ de Touchino. Les premières sections du premier prototype volant du T-4, marqué "101", furent achevées en 1969. La cellule d'essai statique, désignée "100S", fut achevée en 1972. Le prototype "101" fut envoyé sur le terrain de Joukovskiy le 30 décembre 1971, mais le nombre d'essais au sol programmés était conséquent, si bien que le premier vol n'eut lieu que le 22 août 1972. L'avion était piloté par Vladimir Iliouchine, secondé par le navigateur Nikolaï Alfiorov.

Au total, le prototype "101" ne réalisa que 10 vols. Durant les 5 premiers, le train ne fut pas rétracté, puis la vitesse fut progressivement augmentée jusqu'à Mach 1.28 lors du vol n°9, le 8 août 1973. Au terme de son dernier vol le 22 janvier 1974, le prototype "101" ne totalisait que 10 heures et 20 minutes de vol. Aucun problème sérieux ne fut révélé lors des essais. La modification la plus importante consista à ajouter un bouclier anti-chaleur en acier pour protéger le réservoir à l'arrière du fuselage.

Le prototype "101" sur le terrain de Joukovskiy.
Le prototype "101" en vol, train sorti et nez abaissé.

En plus du "101", le programme du T-4 prévoyait la construction de cinq autres prototypes à l'usine TMZ :

  • le "102", dont la structure comportait davantage de matérieux composites, devait servir pour les essais du système d'attaque et de navigation;
  • les "103" et "104" devaient servir de plate-formes de test pour le missile et à la détermination du rayon d'action;
  • le "105" devait permettre l'intégration de l'avionique;
  • et le "106" devait permettre le développement des systèmes de reconnaissance stratégique.
Construction du prototype "102" à l'usine TMZ.
Construction du prototype "103" à l'usine TMZ. Le prototype "104" en construction à l'usine TMZ.

Le plan d'acquisition des VVS pour la période 1970-1975 prévoyait la construction de 250 T-4, qui devaient être produits à l'usine de Kazan. Mais dans le même temps, l'Armée de l'Air souhaitait équiper très largement ses régiments de chasse avec les nouveaux MiG-23. Le Ministre de l'Industrie Aéronautique, Piotr Dementiev, signifia au commandant des VVS, le maréchal Andreï Gretchko, que la commande des MiG ne pourrait être honorée qu'en cas d'abandon du T-4. Dans le même temps, Andreï Tupolev suggéra à Gretchko d'opter pour une version modernisée du Tu-22, le Tu-22M (qui était en fait un avion entièrement nouveau), à la place du T-4. Ces deux éléments signèrent l'abandon du T-4 de Soukhoï, dont le développement fut officiellement annulé en 1974.

Les prototypes "103" à "106" furent ferraillés, tandis que le "102", achevé en 1973 et qui était sur le point de voler, fut envoyé au MAI pour l'instruction des élèves avant d'être à son tour ferraillé. Enfin, le prototype "101" fut reversé au musée de Monino en 1982, où il est toujours conservé.

Caractérisitques techniques

Le Soukhoï T-4 adoptait la même configuration que le XB-70 Valkyrie, mais était toutefois plus petit que ce dernier. Pour pouvoir voler à une vitesse trisonique, le T-4 était construit en alliages de titane VT1-0, OT4, OT4-1, VT20, VT21L et VT22 (limite élastique 1100-1250 MPa), en acier inoxydable VNS-2 et VNS-5 et en acier de construction VKS-210.

Schéma écorché du Soukhoï T-4.

L'aile en double delta avait un angle de flèche intérieur de 75° 44 et un angle de flèche extérieur de 60° 17. Son épaisseur relative de 2,7% était remarquable. Les surfaces mobiles se répartissaient entre les deux plans canard, les trois élevons sur chaque aile et le gouvernail de direction. Les commandes de vol étaient électriques, avec un mode secours manuel.

Vue plongeante sur la voilure en double delta du prototype "101" conservé à Monino.
(crédits photo : Roman Y. Korovine sur Airliners.net)
Vue des trois élevons de l'aile gauche du T-4 de Monino.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)

Sur le fuselage d'un diamètre de 2 mètres se greffait un nez basculant. Lorsque l'appareil volait à une vitesse inférieure à 700 km/h, il restait en position basse, formant un angle de 12° avec le fuselage, pour donner au pilote une visibilité vers l'avant. Sur le prototype "101", le pilote disposait d'un périscope. Dans le cockpit pressurisé, le pilote et le navigateur étaient assis sur un siège éjectable K-36, mis à feu vers le haut, par la trappe d'accès de l'équipage. Derrière se trouvait une grande section réfrigérée abritant l'élecronique. Les quatre réservoirs de carburant du prototype "101" autorisaient un emport de 46,55 tonnes, tandis que sur l'avion "102", la capacité était portée à 58,35 tonnes. Il était prévu d'atteindre un emport de 69,25 tonnes sur l'avion "103". Sur les avions "102" et "103" auraient pu être installés des réservoirs externes de 8,87 tonnes.

Le prototype "101" en vol avec le nez en position basse. Le prototype "101" en vol avec le nez relevé. Vue frontale du prototype à Monino.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)
Gros plan sur le pare-brise vertical du T-4.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)
Détail d'un plan canard, derrière lequel est peint la marque "101 rouge". À l'origine, le nombre 101 était peint en jaune.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)
Vue de la dérive du T-4 conservé à Monino.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)

Les quatres turboréacteurs simple flux Kolesov RD-36-41 était logés dans une nacelle unique sous le fuselage, présentant deux entrées d'air en face avant. La puissance des moteurs et la section des tuyères à géométrie variable étaient régulées par le système automatique de gestion ASDU-ZOA.

Vue des tuyères des quatre réacteurs Kolesov RD-36-41.
(crédits photo : Alain Cuenca)
Les entrées d'air de la nacelle moteur se trouvent juste derrière le train avant.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)

Le train d'atterrissage principal était composé de deux boggies à quatre roues jumelées, se rétractant vers l'avant en tournant de 90° dans une baie à l'extérieur des conduites d'air. Le train avant, comportant deux roues dotées de frein, se rétractait vers l'arrière, dans un puits situé entre les entrées d'air. Pour réduire la course à l'atterrissage, le T-4 était équipé de quatre parachutes de freinage d'une surface totale de 100 m2, déployables à une vitesse inférieure à 280 km/h.

Le train avant du T-4 conservé à Monino.
(crédits photos : Yevgueniy Malinovskiy)
Train principal gauche du T-4.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)
Train principal droit du T-4.
(crédits photo : Yevgueniy Malinovskiy)

Le prototype "101" ne reçut jamais ses systèmes de navigation inertielle, de guerre électronique et de reconnaissance, ni son armement, qui devait comprendre deux missiles air-sol Kh-45. Développés par Soukhoï (ce qui était une première pour cet OKB), ces derniers devaient avoir une portée de 600 km et une charge offensive de 500 kg, pour un poids total de 4500 kg.

Fiche technique
Longueur 44,5 m
Envergure 22,0 m
Hauteur au sol 11,195 m
Surface alaire 295,7 m2
Masse à vide 55 600 kg
Masse maximale au décollage 135 000 kg
Équipage 2
Motorisation 4 turboréacteurs Kolesov RD-36-41 de 16 000 kgp chacun avec postcombustion
Plafond opérationnel 22 000 - 24 000 m
Vitesse maximale 3200 km/h
Distance franchissable 6000 km
6500 km avec réservoirs supplémentaires
Course au décollage 1500 m
Course à l'atterrissage 1100 m
Armement 2 missiles Kh-45
Plans et vue en coupe du Soukhoï T-4. Dessins en couleur du prototype "101".
Sources :
  • Soviet secret projects, Bombers since 1945, Midland Publishing, Yefim Gordon & Tony Buttler, 2004
  • Ударно-разведывательный самолёт Т-4, Ильдар Бедретдинов, Бедретдинов и Ко, 2005
  • photoscope du Soukhoï T-4 conservé à Monino sur Dishmodels.ru
  • page sur le Soukhoï T-4 du site Prototypes.com
Pour reproduire cet appareil :
Fabricant Échelle Référence et désignation Galerie
Amodel 1/72 72001 T-4 (Su-100) Maquette de Frédéric Schaeffer
Page mise à jour le 21/04/2012