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Tupolev Tu-22M

Tupolev Tu-22M3 "15 rouge" à l'atterrissage sur le terrain de Koubinka en mars 2009.

Développement du Tu-22M (Projets 106, 125, 145)

L'histoire du bombardier lance-missiles à long rayon d'action Tupolev Tu-22M commence au début des années 1960, à l'époque où le bombardier supersonique à grande autonomie Tu-22 (Tu-105A) était livré aux unités de première ligne de l'aviation à long rayon d'action et de l'aviation navale. Le bureau d'études expérimentales OKB-156, dirigé par A.N. Tupolev, ainsi que l'usine de fabrication en série N-22 de Kazan, développèrent et construisirent plusieurs versions du Tupolev 22 : le Tu-22R bombardier ou avion de reconnaissance, dont les équipements étaient interchangeables en unité, le Tu-22K lance-missiles, vecteur du missile de croisière Kh-22, le Tu-22P de guerre électronique et le Tu-22U d'entraînement. Au début des années 1960, l'URSS était seule à poursuivre la conception et la fabrication de bombardiers moyens à long rayon d'action. Cela s'expliquait par la situation géopolitique du pays et les structures des forces de dissuasion soviétiques et américaines. Pendant cette décennie, plus de 300 Tu-22 de diverses versions furent produits, qui restèrent en première ligne jusqu'au début des années 1980.

Après la création du Tu-22, les forces aériennes et les concepteurs des matériels aéronautiques nouveaux, au sein du ministère de l'Industrie Aéronautique, commencèrent à étudier le développement des bombardiers et vecteurs lance-missiles à long rayon d'action. À cette époque, il était devenu plus simple et plus efficace de confier à d'autres moyens la mission de frappe stratégique qui jusqu'alors incombait à l'aviation. Des bases terrestres de missiles stratégiques de portée intercontinentale ou intermédiaire (systèmes de missiles 8K61, 8K63, 8K64 et autres) furent ajoutées à la panoplie des forces armées, et les tâches de l'aviation navale et de l'aviation à long rayon d'action s'en trouvèrent modifiées. En cas de conflit, la principale tâche des avions lance-missiles serait désormais l'anéantissement des formations navales de l'ennemi, la lutte anti-navires dans l'Atlantique et le Pacifique, et l'appui des forces terrestres ou navales. Les missions stratégiques avaient perdu la priorité.

Dans ces conditions, il fallait aux forces aériennes un avion supersonique à grande autonomie, susceptible d'être facilement transformable en unité, passant de vecteur lance-missiles en avion de reconnaissance, de guerre électronique, ou d'interception d'avions de transport.

Connaissant les ressources de son équipe, A. N. Tupolev affirma, lors d'une réunion des principaux responsables du pays, qu'il allait entreprendre la construction d'un avion capable d'assurer l'ensemble de ces missions, en tirant parti des idées sur lesquelles le Tu-22 était basé. Son offre fut acceptée car elle permettait à l'URSS de disposer rapidement et à bon compte d'un vecteur efficace. Il était vital, si l'avion était choisi, qu'il fît contre-poids à l'énorme supériorité dont l'ennemi potentiel (les Etats-Unis) disposait sur les mers, grâce à ses porte-avions.

A. N. Tupolev s'appuyait sur deux avant-projets de son bureau d'études, dont le développement pouvait conduire à la création de ce vecteur supersonique polyvalent à grande autonomie. Le premier était désigné "106", le second "125".

Le projet "106" était une modernisation profonde du Tu-22 avec de nouveaux moteurs Kouznetsov NK-6 ou NK-10 qui, toutes choses égales par ailleurs, auraient donné au Tu-22 la vitesse maximale de Mach 2. Les études du projet "106" avaient débuté pendant la mise au point du projet principal 105A. En 1963, il commença à prendre forme. La construction de quelques éléments de structure fut lancée, en particulier à l'arrière du fuselage, avec une paire d'énormes nacelles pour les deux moteurs NK-6. Au premier stade de la construction de cet "Avion 106", il fut décidé d'utiliser la structure du Tu-22 avec le minimum de changements, en l'occurence des moteurs plus puissants et une aile à plus forte flèche. Il était prévu de moderniser les systèmes par la suite.

Le second projet, le "125", était un vecteur supersonique à grande autonomie qui, par sa configuration en canard, ressemblait à un plus petit projet "135" de bombardier stratégique intercontinental, envisagé à la fin des années 1950. Le "125" était calculé pour Mach 2,5 et l'utilisation d'une structure et d'équipements de la génération suivante. Il ne pouvait donc entrer en service au plus tôt qu'au début des années 1970.

Ces deux projets ("106" et "125") étaient optimisés pour la croisière supersonique, avec, en conséquence, une dégradation considérable des qualités de vol dans des domaines opérationnels auxquels l'utilisateur n'attachait pas autant d'importance qu'à la vitesse, au plafond et à l'autonomie.

Cette maquette du projet "106" montre sa grande ressemblance avec le Tu-22.

En examinant les spécifications du client, de plus en plus strictes, ainsi que l'évolution de l'arme aérienne en URSS et à l'étranger, A. N. Tupolev et ses "têtes pensantes" dirigées par le chef du département des projets techniques J. M. Eger, en vinrent à la conclusion qu'il était nécessaire de concevoir un avion plus lourd, plus polyvalent, pour opérer correctement aussi bien aux régimes subsonique et transsonique - à très basse altitude - que supersonique - jusqu'à Mach 2 -, tout en conservant de bonnes caractéristiques de décollage et d'atterrissage. Calculs et expériences montrèrent que ces spécifications contradictoires ne pouvaient être satisfaite que par un avion à flèche variable en vol.

Tupolev n'était pas un pionnier de la géométrie variable. Les premières tentatives dans ce domaine furent allemandes et américaines, dans les années 1940 et 1950, mais sans dépasser le stade de l'étude ou de l'expérimentation. Cette solution technique peu usuelle connut un regain d'intérêt dans les années 1950 et 1960 lorsque commencèrent en Occident puis en URSS les études de chasseurs et de chasseurs-bombardiers tactiques très polyvalents.

En 1965, l'avant-projet d'un avion de combat polyvalent désigné "Avion 145" fut élaboré par le bureau d'études de prototypes de l'usine mécanique Opiout à Moscou (nom de l'organisation chapeauté par A. N. Tupolev à l'époque).

L'adaptation de l'avion à des missions variées et aux petits aérodromes de classe 2 devint le maître mot. Par sa configuration, le "145" ressemblait au "106" avec, pour différence principale, une voilure à géométrie variable en vol et des moteurs à double corps et postcombustion de la famille NK-144.

Grâce aux trois positions des ailes (flèches de 20°, 65° et 72°), les qualités de vol étaient optimales en régime subsonique, en croisière supersonique et en régime transsonique près du sol. Ainsi, selon les régimes, les qualités de vol convenaient pour accomplir plusieurs types de mission de combat.

Les performances du Tu-145 avec 20° de flèche et des atterrisseurs à boggie très robustes, rendaient possible au décollage et à l'atterrisage l'utilisation d'aérodromes de la classe 2 et, même, de bandes en terre d'une densité d'environ 8 kg/cm². Les caractéristiques attendues étaient les suivantes :

  • Masse au décollage : 105 t
  • Masse de carburant : 53,2 t
  • Distance de décollage : 1450 m
  • Vitesse de décollage : 200 km/h
  • Vitesse maximum en palier à la masse intermédiaire de 75 t et en croisière :
    • 1100 - 1200 km/h à 50/100 m
    • 2500 - 2700 km/hà 14500 m
  • Autonomie à 850 km/h et 11 000 à 13 000 m d'altitude : 10 000 km
  • Autonomie à 1800/2200 km/h et 16 000 à 17 000 m d'altitude : 4000 à 5500 km
  • Le ravitaillement en vol devait prolonger la distance franchissable de 30%.

La principale variante du "145" était un avion d'assaut capable d'attaquer à divers régimes de vol. En cas de forte DCA, il devait pouvoir opérer comme bombardier de basse altitude, et traverser la zone protégée à moins de 200 m de hauteur et à 1200 km/h. Ceci devait lui garantir un haut degré de "survivabilité" et une grande précision contre des cibles de petites dimensions, fixes ou mobiles, avec des bombes ou des missiles de croisières d'une portée maximum de 100 km. Pour être employé à très basse altitude, il devrait être équipé d'un système de navigation et d'armement spécial constitué autour d'un radar de suivi de terrain et de tir. Possédant une autonomie considérable en croisière subsonique ou supersonique, il pourrait être utilisé, selon la DCA mise en place par l'adversaire, y compris sur les théâtres d'opérations marins, comme vecteur lance-missiles de haute altitude. Un système d'armes organisé autour du missile Kh-22 avec divers systèmes de visées pouvait être utilisé contre des petits objectifs fixes ou mobiles.

Afin d'améliorer la "survivabilité" du vecteur contre la DCA adverse, il était prévu de le munir de systèmes de brouillage perfectionnés et, en particulier, d'un puissant brouilleur à la place de la tourelle de queue.

La charge utile considérable et l'importance de la génération électrique (tension et intensité élevées) permettraient aussi de créer une version de guerre électronique et de leurrage. La grande autonomie et la capacité d'accélérer en croisière supersonique à diverses altitudes rendaient le "145" apte à la lutte anti-sous-marine, avec l'avantage de pouvoir gagner rapidement la zone d'opérations des submersibles hostiles, pour les détecter, les engager et les détruire. Pour les mêmes raisons, des versions de reconnaissance et de marquage de cibles pouvaient être envisagées.

L'équipage du "145" était plus important que celui du Tu-22, avec 4 hommes : 2 pilotes, 1 navigateur et 1 navigateur-opérateur de systèmes de tir, afin de réduire sensiblement la charge de travail de chacun pendant des vols de longue durée. En outre, si nécessaire, l'éjection de l'équipage se ferait vers le haut et non plus vers le bas, comme sur le Tu-22.

La poursuite de l'étude du "145", pratiquement à la seule initiative de Tupolev, constitua la première étape de la création du futur Tu-22M. Pendant deux ans, le bureau d'études travailla à perfectionner le projet en étroite coopération avec les forces aériennes et l'institut Central d'aéro et hydrodynamique, le TsAGI. En 1967, la configuration initiale fut modifiée de fond en combles, selon les recommandations du TsAGI. Les moteurs furent déplacés à l'intérieur du fuselage, à l'arrière, avec des prises d'air latérales, d'abord cylindriques avec des demi-cônes mobiles, plus tard rectangulaires et bi-dimensionnelles avec une lèvre supérieures avancée.

Après deux années de recherches, le futur Tu-22M prit peu à peu, sur les planches à dessin, la forme de l'avion qui, pendant 15 ans, a attisé la curiosité des experts aéronautiques, des politiques et des amateurs du monde entier. Le 28 novembre 1967, le Comité Central du PCUS et le Conseil des Ministres de l'URSS publièrent un décret qui, conformément aux spécifications des forces aériennes, assignait au bureau d'études d'A. N. Tupolev la tâche de créer une version du Tu-22 avec des ailes à flèche variable et des moteurs NK-144-2. Les caractéristiques devraient être :

  • Vitesse maximum : de 2300 à 2500 km/h
  • Autonomie : 7000 km à 900 km/h avec un missile Kh-22
  • Distance de décollage et atterrissage : inférieur à 1600 m
  • Masse de charge offensive : 3 tonnes en combinaisons

L'équipement et le système d'armement du premier avion seraient celui du Tu-22K lance-missiles. Le bureau d'études devait présenter le prototype aux essais de réception d'Etat pendant le second trimestre 1969. Le nouvel avion, désigné "145" par le bureau d'études, fut officiellement redésigné Tu-22M.

Cette désignation a probablement deux explications : la première est que le financement des études fut accordé au titre d'un "Tu-22 Модифицирований"; la seconde est le secret militaire. En réalité, comme on disait au bureau d'études en plaisantant, de la cellule du Tu-22 ne fut conservée "que l'axe longitudinal" !

Tu-22M0 (Backfire-A)

Une fois le décret publié, le travail de recherche - qui comme chacun sait, n'en finit jamais - cessa, et tous les services du bureau d'études commencèrent à produire les dessins pour la série. Toutefois, certaines modifications furent encore apportées par rapport au projet "145", notamment concernant la flèche des ailes, qui allait pouvoir adopter quatre positions : 20°, 30°, 50° et 60°.

L'importance des études préalables permit de se dispenser du prototype qui était habituellement construit dans un atelier spécialisé, puis livré comme modèle à l'usine de fabrication en série. Le Tu-22M passa directement de la planche à dessins aux chaînes de la présérie, en l'occurrence celles de l'usine n°22 de Kazan. La procédure n'était pas nouvelle. Dans les années 1940, l'usine de Kazan avait produit le Tu-4 de cette manière (notons que le Tu-4 n'était que la copie d'un B-29 capturé).

Tupolev confia à l'un de ses proches collaborateurs, l'ingénieur en chef D. S. Markov, la responsabilité de la conception, de la construction, puis de la mise au point et, enfin, de l'industrialisation et de la fabrication en série de l'avion. Depuis l'après-guerre, Markov avait supervisé presque toutes les études militaires chez Tupolev, ainsi que la conception d'avions civils comme les Tu-104 et Tu-124.

Le premier exemplaire du Tu-22M0 portant le code "101 noir". Tu-22M0 codé "156 noir" servant d'appareil d'instruction au sol à l'institut de l'armée de l'air de Kiev. Le deuxième exemplaire du Tu-22M0 conservé au musée de Monino.
(crédits photo : Steve Brimley sur Airliners.net)

Le premier Tu-22M0 fut achevé pendant l'été de 1969. Le 8 août, il fut amené sur l'aérodrome de l'usine de Kazan. Après 3 semaines de vérifications des systèmes et des moteurs, le premier vol eut lieu le 30 août. L'équipage était composé de V. P. Borissov, chef de bord et pilote d'essais, B. I. Veremeï, copilote d'essais, L. S. Sikatcher, navigateur et K. A. Schabukov, navigateur-opérateur. Ce vol révéla quelques problèmes avec le mécanisme des ailes, mais tout finit par s'arranger, et l'avion revint se poser près de l'usine. Lors de son quatrième vol, le 23 septembre 1969, l'avion fut convoyé jusqu'à l'aérodrome du centre d'essais en vol de Joukovski (département d'essais en vol de l'usine de constructions mécaniques Opiout).

En 1969, 5 Tu-22M0 furent construits. Avant 1972, ils étaient 10 au total dont un réservé aux essais statiques. Les essais d'usine du Tu-22M0 débutèrent en juillet 1970, après de nombreuse améliorations et la correction de nombreux défauts. Six Tu-22M0 furent affectés aux essais en vol pour définir le domaine de vol et les performances des équipements et de l'armement jusqu'en décembre 1972.

Le 9 février 1973, les 2 premiers avions de série Tu-22M0 furent envoyés au 43 TsBP i PLS (Centre d'Entraînement au Combat de l'aviation à long rayon d'action) à Dyagilevo, où les pilotes de première ligne apprirent à le connaître. La silhouette du type 0 était particulière : son dos plat, sa forte flèche, son long apex de dérive et l'absence d'ailerons surprirent (le roulis était contrôlé par des destructeurs de portance à vitesse subsonique, et par le débattement différenciel des gouvernes de profondeur à vitesse supersonique).

La plupart des Tu-22M0 étaient équipés de brouilleurs dans un carénage caudal. Mais, à la lumière de la guerre du Viêtnam, où les canons furent réinstallés sur des chasseurs armés de missiles, le compartiment à brouilleur fut remplacé sur les deux derniers, à la demande des militaires, par une paire de canons GCh-23L en tourelle. Toutes les versions suivantes du Tu-22M furent dotées ces canons. Le Tu-22M0 se différenciait aussi des suivants par son envergure plus courte, des entrées d'air arrondies avec des vannes de décharge sur le dessus, de plus gros carénages d'atterrisseurs, et le système de pivotement des ailes. La motorisation du Tu-22M était assurée par deux turboréacteurs expérimentaux NK-144-22.

Au cours des essais du constructeur, les performances suivantes furent :

  • Masse au décollage : 121 tonnes
  • Vitesse maximum : 1530 km/h
  • Distance franchissable : 4140 km
  • Distance de décollage : 2600 m

Ceci ne satisfaisait personne, ni l'OKB ni les forces aériennes, et Tupolev décida donc de développer une nouvelle version du Tu-22M dès décembre 1969.

Tu-22M1 (Backfire-A)

L'attention fut d'abord portée sur la résistance de la cellule dont les essais statiques du Tu-22M0 avait montré les insuffisances. La nouvelle version M1 fut renforcée, en particulier aux ailes, dont l'envergure fut augmentée de 3 m. Malgré cela, la masse à vide de l'appareil fut réduit de 3 tonnes. Les moteurs NK-144-22 furent remplacés par des NK-22 de série. La forme des prises d'air fut modifiée, les vannes furent déplacées sur les côtés. L'équipement fut complété par un système de contrôle de stabilité automatique ABSU-145. Deux pylônes BD-45K furent fixés sous les ailes pour permettre à l'avion d'emporter de deux missiles Kh-22M.

Le premier exemplaire du Tu-22M1 en 1971. Tu-22M1 au cours d'un ravitaillement en vol. Tu-22M1 conservé à Riga.
(crédits photo : Denis Roschlau sur Airliners.net)

En juillet 1971, la fabrication du premier Tu-22M1 était achevée, et son premier vol survint le 28 juillet. À partir de la fin de 1972, 5 Tu-22M1 furent soumis aux essais de constructeur, au cours desquels furent examinées les qualités de vol et la stabilité avec et sans ABSU-145, de même que le domaine de vol et les performances des moteurs NK-22, le système d'armes, les brouilleurs... Ces essais furent terminés en 1975.

Le Tu-22M1, dont la masse maximum au décollage était portée à 122 tonnes, avait les performances suivantes :

  • Vitesse maximum : 1660 km/h
  • Distance franchissable en régime subsonique : 5000 km
  • Distance franchissable à Mach 1,25 : 1560 km
  • Distance de décollage : 2300 m

Les derniers Tu-22M1 furent envoyés pour évaluation au centre d'essais de l'aéronautique navale de Nikolaïev en 1974, où les marins-pilotes firent connaissance avec le Tu-22M. Mais la production en série de cette variante ne fut pas lancée, ces performances étant jugées insuffisantes.

Tu-22M2 (Backfire-B)

L'amélioration des performances et du système d'armement du Tu-22M devait être poursuivie. Au printemps 1973, le premier Tu-22M2 fut construit, puis il effectua son premier vol le 7 mai. Après la fin des essais en 1975, le Tu-22M2 fut accepté officiellement par les militaires en août 1976. Sa production en série avait en fait été lancée dès 1973 et, en 1974, il arriva dans les unités de l'aviation à long rayon d'action et de l'aéronautique navale. La production de cette version se poursuivit jusqu'en 1983, atteignant un total de 211 exemplaires.

Son équipement minimal avait été complété de façon à lui permettre d'accomplir ses missions militaires : tir de missiles air-sol, bombardement, pénétration. Son poids à vide avait encore été abaissé de 1,5 tonnes. Lors des essais, le Tu-22M2 atteignit la vitesse maximum de 1800 km/h, sa distance franchissable maximum étant de 5100 km. Toutefois, cela n'était pas suffisant pour considérer achevée la maturation du Tu-22M. Les forces aériennes exigeaient que fussent remplies toutes les conditions concernant la vitesse. En fait, toute l'histoire de la modernisation du Tu-22M fut une incessante et difficile recherche de vitesse.

Le Tu-22M2 "1004 noir", un appareil de début de production. Sa perche IFR a été tronquée. Vue de dessus d'un Tu-22M2 avec ses ailes entièrement déployées. Gros plan sur les tuyères d'un Tu-22M2 et sa tourelle UKU-9A-502.
Vue de l'intrados d'un Tu-22M2. Gros plan sur le nez d'un Tu-22M2 dont la perche IFR a été entièrement supprimée. Tu-22M2 "48 rouge".

Un Tu-22M2 fut converti en appareil de contre-mesures électroniques désigné Tu-22MP à la fin des années 1970, mais cette version ne fut jamais produite en série.

Tu-22M3 (Backfire-C)

Le bureau d'études étudia les mesures à prendre en utilisant les résultats des études et des essais précédents. Le même genre de travail fut entrepris par le bureau d'études du motoriste N. D. Kouznetsov. Seuls les efforts conjugués du motoriste et du constructeur apporteraient les résultats voulus.

Le calcul montra qu'une augmentation de 20% de la puissance était indispensable. Or, les ressources du NK-22, descendant du NK-144, étaient pratiquement épuisées. Les tentatives pour accélérer la mise au point du NK-23 avaient été un échec, bien qu'un Tu-22M1 propulsé par un prototype du NK-23 eût volé.

Au début des années 1970, le bureau d'études de Kouznetsov créa le NK-25 : c'était un turboréacteur à triple corps avec une poussée statique maximum de 25 tonnes et une consommation spécifique plus faible.

En 1974, un Tu-22M2 de série fut transformé en banc d'essais volant Tu-22M2-E pour ce moteur. En 1975 et 1976, le NK-25 fut essayé et mis au point au centre Joukovski sur un avion spécial, le Tu-142LL, sur lequel les systèmes de régulation électronique, etc... furent perfectionnés.

De nouvelles entrées d'air avec des lèvres en biseau et une plus grande ouverture furent mises au point. Il se trouva que si elles étaient optimisées pour le nouveau moteur, leurs propriétés aérodynamiques étaient aussi meilleures.

Le bureau d'études s'efforça d’améliorer encore les systèmes et l'aérodynamique de la cellule, ainsi que d'alléger cette dernière pour compenser la masse plus élevée du NK-25. Le premier prototype du Tu-22M1 fut utilisé pour éprouver les modifications : l'avant du fuselage fut allongé de 80 cm, la flèche maximum des ailes portée à 65°. La perche de ravitaillement en vol fut démontée, afin d'évaluer précisément son influence sur la traînée... 2050 km/h furent atteints.

L'arrière du fuselage fut aminci en supprimant un des deux affûts GCh-23L. L'allègement de 2,3 à 2,7 tonnes fut obtenu en optimisant certains éléments de structure. Par exemple, au début, les Tu-22M avaient été munis de trois boggies axiaux (le boggie central étant extensible) à la demande des militaires pour exploiter l'avion sur des pistes en herbe. Toutefois, ce système s'était révélé peu efficace. En outre, l'emploi d'avions lourds sur des pistes non préparées n'était plus d'actualité. Rapidement, les Tu-22M furent donc équipés de boggies allégés. Toutefois, il fallut encore renforcer les ailes.

L'équipement fut modernisé : beaucoup de travail fut, en particulier, consacré à augmenter la génération électrique. L'ergonomie de la cabine fut aussi améliorée, avec, entre autres, un système de conditionnement d'air plus compact et plus efficace. L'adaptabilité de l'avion fut améliorée en simplifiant l'accès aux équipements. Le Tu-22M3 pouvait emporter en soute un lanceur rotatif MKU-6-1 pour six missiles Kh-15.

L'un des deux réacteurs Kouznetsov NK-25 propulsant le Tu-22M3. Le poste de pilotage du Tu-22M3.
(crédits photo : Konstantin Tyourpeko sur Airliners.net)
Un missile Kh-22M sous le ventre d'un Tu-22M3.
Le missiles Kh-22P, plus long que le Kh-22M, ne pouvait être emporté que sur les pylônes d'aile BD-45K. Les six missiles Kh-15 sur leur lanceur rotatif MKU-6-1. La tourelle simple UKU-9A-502M du Tu-22M3 était plus compacte que les tourelles doubles des versions précédentes.

Cet ensemble de transformation permit de créer une nouvelle version du Tu-22M, le Tu-22M3, en peu de temps. La directive du Conseil des Ministres de l'URSS concernant le Tu-22M3 fut émise le 26 juin 1974, le premier exemplaire fut construit en 1976 et effectua son premier vol le 20 juin 1977.

La production en série commença en 1978, bien que les essais de réception d'État n'aient été achevés qu'en 1981. Le premier type 3 avait les ailes du type 2 : la voilure renforcée fut adaptée sur les suivants. Comme les stocks alloués à la fabrication du Tu-22M2 n'étaient pas épuisés, la fabrication de cette version fut poursuivie en parallèle avec celle du Tu-22M3 jusqu'en 1983. Au total, 268 Tu-22M3 furent produits. Les premiers appareils de cette version gagnèrent le 43 TsBP i PLS en mars 1981.

Le Tu-22M3 "32 rouge", premier exemplaire de cette version. Le deuxième exemplaire du Tu-22M3 armé de 4 pylônes MBD3-U9-68 pour bombes de 250 kg. Cette vue frontale de Tu-22M3 met en évidence la nouvelle section rectangulaire des entrées d'air.
(crédits photo : Ilya Morozov sur Airliners.net)

Un Tu-22M3 a été modifié en banc d'essais aérodynamique subsonique au début des années 1990. Désigné Tu-22M3-LL, il a fait son premier vol en 1993 et est affecté à l'institut de recherches aéronautique.

Tu-22MR

L'ultime version du Tu-22M fut le Tu-22MR (à l'origine désigné Tu-22M3R) de reconnaissance, dont le prototype décolla pour la première fois le 6 décembre 1985. Les essais furent interrompus suite au crash de l'appareil, mais un second prototype fut livré pour poursuivre le programme. Cependant, les restrictions budgétaires et la chute de l'URSS l'empéchèrent d'arriver à son terme.

La carrière du Tu-22M

Lorsque le Tu-22M rejoignit l'inventaire des forces aériennes soviétiques en 1976, il était si différent du Tu-22 qu'il convenait d'en parler comme d'un autre avion. Il pouvait emporter 3 missiles Kh-22, et jusqu'à... 24 tonnes de bombes, avec un système de navigation et d'armement tout à fait nouveau.

Les Tu-22M0 et Tu-22M1 servirent peu à peu de prototypes pour les versions ultérieures et n'entrèrent jamais en service. Ils furent affectés en petit nombre à l'aviation à long rayon d'action, à l'aéronautique navale et aux centres d'instruction de Nikolaïev et Ryazan uniquement pour la formation des équipages.

Le Tu-22M2 fut fabriqué en grandes quantités pour l'aviation à grand rayon d'action et l'aéronautique navale. Toutefois, c'est la version Tu-22M3 qui, après 1976, fut capable de remplir (encore qu'incomplètement) les spécifications du décret de 1967.

La mise en service du Tu-22M posa moins de problèmes que celle du Tu-22, grâce à la meilleure qualité de la construction, la meilleure fiabilité des systèmes de contrôle, la plus grande expérience des équipages et des mécaniciens, l'accroissement de l'équipage à 4 hommes... et le système d'éjection vers le haut, utilisable à altitude nulle.

Le 5 juin 1973, un Tu-22M0 fit une démonstration de ses capacités de frappe devant les officiels soviétiques en largant des bombes de 500 kg sur un groupe de véhicules blindés. Par la suite, le pilote, le capitaine Boris P. Podchinyonov, reçut l'ordre de l'Étoile Rouge.

En avril 1974, trois Tu-22M1 furent livrés au centre d'entraînement de l'aviation navale à Nikolaïev. Au même moment, les premiers Tu-22M2 de série furent envoyés au 43 TsBP i PLS à Dyagilevo. De juillet à septembre 1974, 5 Tu-22M2 furent envoyés au 185 GvTBAP de Poltava pour remplacer ses Tu-16. La carrière militaire du Tu-22M commençait. En 1976, ce fut au tour du 840 TBAP de Soltsy de passer sur Tu-22M2, puis aux 1225 et 1229 TBAP de Belaya (près d'Irkoutsk) en 1982.

En 1976, un groupe d'équipages du 185 GvTBAP, commandé par Pyotr S. Deinekine, alors commandant en chef des forces aériennes, réalisa un vol de démonstration spectaculaire à basse altitude, pour démontrer les capacités du Tu-22M2.

Tu-22M2 "07 rouge" du 52 GvTBAP à Chaïkovka. Tu-22M2 "48 rouge" en maintenance.

Les premières unités opérationnelles à recevoir le Tu-22M3 en remplacement du Tu-22M2 furent le 840 TBAP et le 185 GvTBAP en 1981. En 1985, les appareils de ce dernier firent une nouvelle présentation à basse altitude, en ordre de bataille.

Les Tu-22M2 et M3 ont pris part à des opérations de guerre en 1987-1988. Ainsi, des appareils du 185 GvTBAP entre autres ont décollé des base de Maryy-1 et 2 au Turkménistan et de Khanabad en Ouzbekistan pour bombarder des positions rebelles en Aghanistan à plusieurs reprises, de jour comme de nuit.

L'Occident connut leur existence dès la sortie d'usine du premier Tu-22M0, à Kazan, en 1969. Il fut photographié par un satellite de reconnaissance et fit l'objet d'un grand intérêt de la part des experts. Il fut comparé au B-1A américain; la qualité de bombardier stratégique intercontinental lui fut dès lors constamment attribuée en Occident. Dans sa nomenclature, l'OTAN lui donna le nom de Backfire avec le suffixe A pour les versions 0 et 1, B pour la 2 et C pour la 3.

En fait, l'imprécision de son statut fit régulièrement du Tu-22M une pierre d'achoppement des négociations sur la limitation des armements stratégiques SALT-2. Les Soviétiques ne voulaient pas parler du Tu-22M parce qu'ils estimaient, non sans raison, qu'il n'avait pas de capacités intercontinentales. En 1976, les négociations eurent lieu à Genève, tandis qu'à Joukovski, les essais du Tu-22M2 étaient poursuivis pour établir l'autonomie maximum avec deux ravitaillements en vol. Commandé par V. P. Borisov, l'avion tint l'air pendant 15 heures et embarqua plus de 90 tonnes de carburant en deux ravitaillements en vol. Cette expérience souleva un scandale international. Les satellites américains localisèrent le premier ravitaillement en vol, mais ne purent observer le second, à cause du mauvais temps. Le lendemain, une carte portant le tracé de ce vol sans escale fut posée sur la table des négociateurs à Genève, et le Tu-22M fut inclus dans la catégorie des armes stratégiques susceptibles d'attaquer les Etats-Unis. En conséquence, conformément au traité, l'URSS démonta le circuit de ravitaillement en vol des Tu-22M et limita leur production à 30 par an.

Tu-22M3 au 43 TsBP i PLS de Dyagilevo en 1989. Tu-22M3 '14 rouge" du 52 GvTBAP à Chaïkovka. Tu-22M3 "01 rouge" du 200 GvTBAP à Belaya le 21 janvier 2005.
(crédits photo : Fanta sur Airliners.net)
Tu-22M3 juste après le décollage, 2009.
(crédits photo : Max Bryansky sur Airliners.net)
Tu-22M3 du 200 GvTBAP à Belaya en janvier 2005. Tu-22M3 en vol en mars 2008.
(crédits photo : Avtor sur Airliners.net)

Le bombardier stratégique nucléaire Tu-22M a fait son entrée sur la scène internationale au salon de Farnborough 1992. Au moment de l'effondrement de l'URSS, les 370 Tu-22M en service furent répartis entre la Russie et l'Ukraine (cette dernière les utilisa jusqu'en 2004). En 2008, les forces aériennes russes disposaient de 162 Tu-22M3 opérationnels, plus 93 en réserve. Ils équipaient les unités suivantes :

  • le 52 GvTBAP à Chaïkovka (Kalouga) ;
  • le 840 TBAP à Soltsy (Novgorod);
  • le 200 GvTBAP à Belaya (Irkoutsk);
  • le 444 TBAP à Vozdvijenka (Vladivostok);
  • le 43 TsBP i PLS à Dyaguilevo (Riazan).

Considérations

Le Tupolev Tu-22M Backfire est l'un des rares bombardiers avec des réacteurs dotés de post-combustion, pouvant atteindre Mach 2 et servir à la reconnaissance. Ses ailes à géométrie variable lui confèrent des capacités d'attaque à longue portée exceptionnelles. Le Backfire a un grand emport d'armes, incluant des missiles de croisière, des bombes pour tout objectif terrestre ou naval. Il a un équipement électronique de brouillage qui l'aide à percer les défenses ennemis, et combiné avec sa vitesse due à la post-combustion, il est très difficile de le descendre en flamme avant qu'il ne lance ses missiles. En d'autres termes, c'est un dangereux adversaire. Il n'y a pas d'appareils équivalent à l'Ouest, quoique le bombardier américain B1 ait quelques caractéristiques similaires. Le Backfire, cependant, est un bombardier tactique à moyenne distance, tandis que le B1 est un bombardier stratégique à longue distance.

Fiche technique
Tu-22M2 Tu-22M3
Longueur 41,46 m 42,46 m
Envergure 34,28 m 34,28 m
Hauteur au sol 11,05 m 11,08 m
Surface alaire 183,58 m2 183,58 m2
Masse à vide - -
Masse maximale au décollage 122 000 kg 124 000 kg
Équipage 4 4
Motorisation 2 turboréacteurs Kuznetsov NK-22 de 22000 kgp avec postcombustion 2 turboréacteurs Kuznetsov NK-25 de 25000 kgp avec postcombustion
Plafond opérationnel 12 600 m 13 300 m
Vitesse maximale 1800 km/h 2300 km/h à 10 000 m
Distance franchissable 5100 km 7000 km
Course au décollage 2300 m 2100 m
Course à l'atterrissage 1130 à 1450 m 1200 à 1300 m
Armement 1 tourelle double UKU-9A-502 avec 2 canons GCh-23L de 23 mm (600 coups chacun) ;
3 missiles air-surface Kh-22M et Kh-22P ou 24 tonnes de bombes et/ou de mines
1 tourelle UKU-9A-502M avec 1 canon GCh-23L de 23 mm (600 coups)
3 missiles air-surface Kh-22M et Kh-22P ou 24 tonnes de bombes et/ou de mines ou un lanceur rotatif pour 6 missiles Kh-15
Profil de Tu-22M0. Profil de Tu-22M1. Profil de Tu-22M2 de début de production conservant sa perche IFR.
Plan 3 vues de Tu-22M3. Tu-22M3 "50 rouge" du 185 GvTBAP à Maryy-2 en décembre 1988. Tu-22M3 "58 rouge" du 200 GvTBAP.
Sources :
  • Tupolev Tu-22M, Yefim Gordon, Polygon Press,2003
  • Tupolev Tu-22 "Blinder", Tu-22M "Backfire", Yefim Gordon & Vladimir Rigmant, Aerofax, 1998
  • Soviet Strategic Aviation in the Cold War, Yefim Gordon, Hikoki Publications, 2009
  • Russian Strategic Aviation today, Yefim Gordon & Dmitriy Komissarov, Hikoki Publications, 2010
Pour reproduire cet appareil :
Fabricant Échelle Référence et désignation
Trumpeter 1/72 1655 Tu-22M2 Backfire B Strategic bomber
Trumpeter 1/72 1656 Tu-22M3 Backfire C Strategic bomber
Italeri 1/72 01238 Tu-22 M "Backfire" C
Page mise à jour le 21/04/2012